Calendrier de l'avent du domaine public - 2014/2015

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Sergueï Prokoudine-Gorski

par Rayna
  • mercredi 3 décembre 2014
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  • Dans le DP en 2015

Lorsque l’on parle des origines de la photographie couleur, on pense immédiatement aux Frères Lumière. La technique dite de l’autochrome est présentée le 30 mai 1904 devant l’Académie des Sciences : son succès et l’engouement qu’elle suscite contribuent à la généralisation de la photographie couleur à partir de 1910.

Ce que l’on connaît moins est l’histoire de la photographie couleur en Europe de l’Est. Chimiste et « photographe amateur » [1], Sergueï Prokoudine-Gorski s’y consacre dès les années 1890. Remarqué par le Tsar Nikolas II pour ses photos en couleurs dès 1908, Prokoudine-Gorski bénéficie d’un soutien politique et financier sans faille et produit ainsi des milliers de photos documentant l’Empire russe d’avant la Révolution de 1917.

De l’expérimentation à l’empire

Le jeune homme s’intéresse aux mathématiques et à la physique, et d’aucuns affirment même qu’il a suivi des cours avec Mendeleïev à l’Université Saint-Petersbourg. Prokoudine-Gorski bénéficie aussi d’un passage par les bancs de l’École Supérieure de Technologie à Charlottenburg (Allemagne), sous les conseils avisés d’Adolf Miethe. Ce dernier est à l’origine du premier appareil photo couleurs (1901) s’appuyant sur la technique de l’autochrome ; Prokoudine-Gorski contribue à perfectionner sa technique en 1902.

Prokoudine-Gorski commence très tôt à s’intéresser à la photographie couleur. Donner une date à cet engouement n’est évidemment pas aisé ; d’après ses biographies, il présente ses premiers travaux sur le sujet dès 1896 [2]. Même s’il reprend l’industrie métallurgique de son beau-père, Prokoudine-Gorski continue ses expérimentations pour obtenir un procédé fluide permettant la photographie couleur. À partir du milieu des années 1890, son histoire est une belle success story : il gagne en reconnaissance, devient membre de diverses sociétés savantes russes, présente ses œuvres à l’Exposition universelle à Paris (1900), fonde son studio photos (1901), puis collabore avec Adolf Miethe en Allemagne (1902).

C’est à partir de 1903 que Prokoudine-Gorski commence à voyager et photographier – en couleurs – les paysages et les gens qu’il découvre. Cette première série ne peut être datée avec certitude mais il est admis qu’elle date du voyage que Prokoudine-Gorski effectue en Finlande en 1903. La caméra utilisée est issue de la collaboration entre le « photographe amateur » russe et A. Miethe. Prokoudine-Gorski capture des paysages automnaux de l’isthme de Carélie, le lac Saimaa et le Canal de Saimaa.

La chronologie précise des voyages photographiques de Prokoudine-Gorski n’est pas connue. Cependant, on sait qu’en 1904, il a réalisé des photos couleur des montagnes du Daguestan (la partie la plus reculée de l’Empire russe de l’époque), puis des pourtours de la Mer Noire et des paysages autour de Saint-Pétersbourg. 1905 l’amène dans le Caucase, à Kiev, en Crimée et dans de nombreuses autres villes de l’Ukraine actuelle où il réalise plus de 400 photos couleur.

L’idée de Prokoudine-Gorski était de transformer ses photos couleur de la moitié de l’Empire en cartes postales, les premières de l’histoire russe. La Croix Rouge de Saint-Pétersbourg accepte de financer ses voyages... jusqu’au moment où la crise économique de l’époque met fin à cette initiative. La Croix Rouge interrompt son soutien financier ce qui a pour conséquence non seulement d’interrompre la suite des voyages mais aussi de compromettre la sauvegarde du fonds photographique. Ainsi, sur 400 photos réalisées, très peu ont été préservées.

Cet accident de parcours ne décourage pas le photographe : devenu membre de la Société Russe des Géographes, Prokoudine-Gorski se rend en Asie Centrale pour photographier une éclipse solaire (1906). En raison de l’épaisseur des nuages, il ne parvient pas à la capturer... mais découvre l’immense richesse historique de la région. Entre 1906 et 1907 donc, il entreprendra de documenter en photos tous les monuments, coutumes et sites mémoriels divers de l’Oural jusqu’en Afghanistan. C’est probablement à ce moment qu’il réalise le pouvoir de la photographie couleurs : préserver à jamais l’histoire, la diversité et la nature de l’Empire russe.

La Russie pré-Révolution en couleurs

Le vrai déclic pour Prokoudine-Gorski et sa carrière de photographe se produit en 1908 quand il réalise une photo en couleurs de l’écrivain Léo Tolstoï à l’occasion de son 80e anniversaire.

Léo Tolstoy, Yasnaya Polyana, 23 mai 1908, domaine public

L’immense succès de cette image largement diffusée et popularisée, lui vaut l’attention du Grand Duc Mikhaïl Alexandrovitch (1908). Leur rencontre donne lieu à une autre invitation, cette fois-ci par le Tsar Nikolaï II en personne (1909). Impressionné par les photos de voyage de Prokoudine-Gorski, le Tsar décide de soutenir y compris financièrement le projet du photographe : documenter l’Empire à l’aube du nouveau millénaire.

De par ce projet ambitieux, Prokoudine-Gorski aurait dû réaliser 10 000 photos en 10 ans, capturant toutes les parties du vaste pays. Le projet commence sur des chapeaux de roues : le photographe commence par remonter le Canal Mariinksy jusqu’à la Volga, photographiant les paysages à l’occasion du bicentenaire du Canal.

Par la suite, Prokoudine-Gorski se rend dans l’Oural, dans le Caucase, en Asie Centrale...


La Cathédrale Saint-Nicolas, ville de Mojaïsk, 1911


Autoportrait en Asie Centrale, 1910


Aux abords du lac Séliguer, 1910


L’Émir de Boukhara, 1911

La guerre et la Révolution russe

L’œuvre et les efforts de Prokoudine-Gorski se voient quelque peu bridés alors même que l’initiative est à son apogée. En effet, le Tsar n’a donné son accord que pour un soutien financier des voyages – le reste des investissements est à la charge du photographe. À partir de 1913, Prokoudine-Gorski s’intéresse de plus en plus aux moyens de rentabiliser ses photos : il crée, entre 1913 et 1914, plusieurs sociétés dont l’une qui dépose même des brevets sur les premiers essais filmographiques.

Le début de la Première Guerre mondiale met cependant fin à cette effervescence créatrice. Dès 1914, Prokoudine-Gorski doit abandonner ses activités de recherche et d’innovation filmographique pour se consacrer à l’effort de guerre : censure des films et des clichés photographiques arrivant de l’Ouest, formation des pilotes russes à la captation durant le vol, etc. La dernière véritable expédition de Prokoudine-Gorski se déroule en 1916 : il y photographie les récents chemins de fer de Mourmansk. Jusqu’à aujourd’hui, les raisons ayant motivé la prise d’images d’installations militaires secrètes sont méconnues.

En 1917, la Révolution russe change la donne. Même s’il reste actif en Russie pendant quelques mois après, Prokoudine-Gorski vient en France avec sa famille. Après moulte péripéties en Norvège et au Royaume-Uni, le photographe s’installe à Paris en 1921 et y vit jusqu’à la fin de ces jours en 1944.

Et la collection monumentale de Prokoudine-Gorski alors ? D’après ses propres mémoires (1932), grâce à « des circonstances heureuses », il a obtenu l’autorisation des élites politiques russes post-révolutionnaires à exporter une partie de sa collection. Les circonstances précises de cet arrangement sont inconnues ; d’aucuns affirment qu’il a dû céder la moitié de son fonds photographique au pouvoir bolchévique. Quoi qu’il en soit, la première mention de la collection de Prokoudine-Gorski date de 1931, lorsqu’il commence à montrer des clichés à la communauté russe à Paris. La collection a survécu aux affres de la Seconde Guerre mondiale grâce aux caves et autres cachettes parisiennes.

Propriété des fils du photographe, la collection connue de Prokoudine-Gorski a été vendue en 1948 à la Bibliothèque du Congrès américaine, institution qui l’entretient encore aujourd’hui. Depuis 2001, grâce à la numérisation des images par la Bibliothèque, les premières photos couleur russes font désormais partie de l’héritage de l’humanité.

Droits sur les images de Prokoudine-Gorski.


Article Wikipédia : Prokoudine-Gorski


[11 Référence au journal « Le Photographe amateur » (« Фотограф-любитель »), la revue la plus importante de photographie en Russie à l’époque, fondée en 1890 dont devient rédacteur en chef en 1906.

[22 Voir à ce sujet le site officiel « L’héritage de Sergueï Mikhaïlovitch Prokoudine-Gorski » (en russe) : http://www.prokudin-gorsky.org/rightpages.php?fname=chronology


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